Transcender son corps.
Un élève m’a dit que le jour où elle pourrait réaliser Bakasana (ou le corbeau), ça serait le signe qu’elle aurait transcendé les limitations de son corps. Comme réponse je lui ai dit qu’elle pourrait, peut-être, connaitre cette transcendance en acceptant de ne jamais la réaliser.
Depuis, je m’interroge sur la transcendance et repense à ma position d’enseignant de yoga. Avant ma première formation et mes premiers cours, je m’interrogeais sur ma légitimité à devenir prof. N’étant ni particulièrement souple, ni particulièrement musclé et ne réalisant pas dans leur version finale de nombreux asanas.
Par définition, transcender signifie « Faire dépasser à quelque chose ou quelqu’un ses limites habituelles, normales ». La recherche de l’état de yoga, n’est-elle pas faite pour ne pas transcender ce corps mais plutôt pour l’accepter tel qui l’est avec ses limites, ses contraintes, ses raideurs mais aussi ses souplesses, ses ouvertures ?
J’aime répéter aux pratiquants de rester à l’écoute de leur corps de ne pas chercher à aller au-delà des possibilités offertes. Écouter les sensations du corps comme une discussion aux intonations variables : des silences, des cris, des rires, de la douceur, de l’amour. Laisser le corps guider le corps. Ainsi, j’apprends à accepter que certaines fois je ne peux pas montrer certains asana (expérimentés dans le passé), à perdre l’équilibre au moment de la montrer, à garder les jambes fléchies, à utiliser du matériel…
Mais surtout j’apprends et je continue à apprendre de mon corps, car au-delà des limites physiques, j’entends parfois des peurs, des craintes, des apaisements, de la joie, de la souffrance, bref quelques choses de plus émotionnelles. Une couche après l’autre, interdépendantes pour comprendre qui je suis dans ce corps.
Cette recherche de transcendance du corps, je l’ai moi aussi expérimenté (et je l’expérimente encore), mais peut être qu’à l’avenir au lieu de recherche à transcender mon corps, je chercherai plutôt à transcender le corps tel qu’il est représenté socialement à savoir toujours tonique, souple, ferme, en mouvement, jeune…
Après tout, comme les rides sont les souvenirs de nos expressions, les sensations et les formes du corps racontent notre histoire. Bien que nous aimerions parfois tourner certaines pages, voir les effacer ou carrément les arracher, notre livre mérite d’être lu et relu, d’être apprécié et d’être aimé, pour ce qu’il est, pour ce qu’il raconte de nous comme un chef d’œuvre.