« Non, je fais du yoga ». Avez-vous déjà remarqué que lorsque vous utilisez cette réponse, généralement les images qui peuvent apparaître dans les subconscients (ceux des pratiquants de yoga aussi) sont souvent celles :
- d’une personne assise en tailleur sur la plage, les mains sur les genoux, l’index et le pouce en contact en chantant « mmmmmmmmmmmmmmmmmmm ».
- d’une femme (?) d’un âge avancée pratiquant des étirements doux,
- d’une personne très souple.
Nous sommes souvent loin de l’idée de transpiration, de travail musculaire ou d’un travail plus profond, du corps et de l’esprit. Bref souvent le yoga est mal connu.
B.K.S. Iyengar écrit dans l’introduction de son ouvrage sur le Pranyama que le yoga « a pour premier objet la santé, la force et la conquête du corps. Puis il lève le voile de la différence entre le corps et l’esprit. Finalement il conduit le sadhaka (le pratiquant) à la paix et à une pureté sans mélange. Le yoga enseigne à l’Homme de façon systématique à rechercher le Divin en lui-même avec application et efficacité (…). Ainsi le yoga conduit-il le sadhaka de l’ignorance à la connaissance, de l’obscurité à la lumière et de la mort à l’immortalité».
Personnellement, je comprends que le yoga ne peut se résumer ni à des « mmmm » assis sur une plage de sable blanc ni à une pratique sportive, pas vous ?
Les images, bien que stéréotypées, sont certainement et partiellement justes mais ne résument pas pour autant la pratique du yoga ou le yoga lui-même. Aujourd’hui, 300 millions de yogi sont dénombrés dans le monde. Le yoga se pratique à tout âge, indépendamment du sexe. Mon manque de souplesse ne m’empêche pas de pratiquer régulièrement. La posture assise en tailleur n’est souvent utilisée que dans les phases de méditation ou dans les chants de mantras. Dans la plupart des yoga pratiqués (oui, il en existe plusieurs types), la transpiration n’est pas indépendante de la pratique.
Les origines
Les yogas semblent être une pratique millénaire dont les premiers écrits remontent au Vedas (« le savoir »), texte spirituel hindous datant de 1700-1100 av. J.C. Le yoga apparait pour la première fois dans ces poèmes composés par les maîtres spirituels au cœur d’une culture dans laquelle la plupart des pratiques étaient en relation directe avec la nature, la recherche de sens et de bien-être. Peut-être que notre représentation de la personne assise sur une plage ou dans une forêt en train de méditer vient de là.
Le terme « yoga » est dérivé da la racine sanskrite « yuj » qui signifie littéralement « atteler, lier, joindre, attacher, diriger concentrer l’attention ». Le yoga serait donc l’art qui amène un esprit incohérent et dispersé à un état de réflexion et de cohérence. Selon les Upanishad, expression de Vedas sous la forme de dialogues philosophiques, le yoga consisterait en l’attelage du mental individuel (atman) avec un esprit universel (brahman) ou le divin (comprendre ici quelque chose de plus grand que notre individualité, ou notre personne) afin de créer un pur état de conscience où le « moi » s’évanoui. Vaste programme, non ?
Quelques outils
L’outil majeur de ce programme est la méditation. Un outil qui se rapproche de notre image de départ… La méditation peut avoir plusieurs formes. Elle peut passer par des chants de mantras (psaumes répétés), d’asanas (postures) particuliers à travers lesquelles la pratique primordiale est celle du pranayama (contrôle du souffle) dont il existe un grand nombre de variations.
La répétition des mantras, utilisés encore aujourd’hui dans de nombreux cours, correspond principalement à la pratique des kirtans réalisés en yoga bhakti (yoga de la dévotion). Je vous en mets quelques-uns que j’aime particulièrement écouter, mais il en existe de nombreux autres :
- Gayatri
- Om Namah Shivaya Gurave
- Om Gam Ganapataye Namaha
- Hare Krishna
- Om Han Hanumate Namo Namah
- Lokah Lokah Samastah Sukhino Bhavantu
Les asanas sont d’autre outils du chemin d’un yogi. Les asanas sont des postures que nous devons adopter avec le corps. Pour certains, il ne faudrait pas les réaliser mais être l’asana. Je pense qu’il faut comprendre ici qu’il faut être attentif aux sensations dans le corps et dans la respiration, être pleinement attentif à l’instant pour prendre conscience spatialement du corps. Pour d’autres les asanas permettent de prendre conscience des blocages dans le corps. Leur utilisation serait la clé pour les déverrouiller. Il existerait une infinité d’asanas, les textes ancestraux ayant été écrits sur des feuilles de palmiers, beaucoup ont été perdus avec le temps. La plupart des types de yoga n’en utilise qu’une partie avec des variations. Le nom des asanas peut varier d’un courant sur l’autre reflétant ainsi l’intention à mettre dans la pratique.
Le pranayama, ou contrôle du souffle par des exercices spécifiques ou lors de chants, consiste à utiliser prana (souffle de vie) et apana (souffle d’élimination) pour faire circuler, renouveler, concentrer l’énergie dans le corps. Cette circulation est réalisée selon des rythmes d’inspirations, d’expirations et de rétention variables selon l’objectif ou l’intention que nous nous fixons.
Asana, Pranyama et médiation constituent 3 des 8 branches du chemins (Asthanga) que la pratique du yoga invite à prendre selon les écrits de Patanjali dans « yoga sustras ».
Un cheminement rigoureux
Patantajali dit dans les Yoga Sustras :
“yoga citta vritti nirodha,” (Yoga Sutra 1.2)
c’est-à-dire « Le Yoga est le contrôle des fluctuations du mental ». Il précise par la suite que les fluctuations du mental peuvent être contrôlées selon 8 branches : Yama, Niyama, Asana, Pranayama, Pratyahara, Dharana, Dhyana, Samadhi.
Les deux premières branches sont constituées par des règles de conduite, de vie envers les autres (Yama) et envers soi (Niyama). Ces règles engagent le pratiquant sur différents plans : morales, spirituelles, philosophiques, psychologiques, hygiéniques… Afin qu’un jour (peut-être), nous atteignons le stade de l’éveil du Samadhi. En les lisant, ici, ces règles pourront, par leur simplicité, apparaitre comme une évidence. Cependant, leur application n’est pas toujours aisée dans notre quotidien et dans nos sociétés. Qui n’a jamais eu une pensée ou un mot inapproprié ? Qui ne s’est jamais laissé aller à la tentation au vu des nombreuses sollicitations ? Qui n’a pas jamais balayé devant la porte du voisin plutôt que devant la sienne ? Qui n’a jamais omis, modifié, transformé la vérité pour son propre intérêt ou celui des autres ? Le chemin vers le Samadhi n’est pas chose aisé et peut être devrions nous considérer ces règles comme des garde-fous qui nous permettent, peut-être, de prendre conscience de nos écarts et de trouver des moyens de changer, d’évoluer, de nous améliorer afin de (re-)trouver un état stable sur différents plans.
Les 5 Yama – Les observances morales envers les autres – sont :
- Ahimsa – non-violence. La non-violence doit être appliquée aussi bien sur le plan physique que psychologique. Elle se traduit par la tolérance, l’acceptation et l’amour, de soi et des autres (humain, animaux et végétaux). Elle se retrouve aussi dans le développement d’une conscience éthique qui pourrait être impliqué dans une consommation alimentaire végétarienne ou la mise en place de démarches environnementales dans nos vies.
- Satya – la vérité. C’est évidemment le fait de ne pas mentir, mais également l’honnêteté, l’absence de jugement et être vrai et juste envers soi-même. Ce n’est pas toujours facile de rester fidèle à soi-même. Les raisons sont multiples de ces (petits) mensonges : se sentir en lien, obtenir de l’amour, ne pas décevoir les autres… mais au final en mentant sur ce que nous sommes nous nous éloignons de nous et des autres.
- Asteya – honnêteté, l’intégrité, l’absence de convoitise. Il s’agit ici de ne pas voler. Le non-vol ne se limite pas aux objets. L’aspect subtil réside dans le fait de ne pas voler mentalement les autres, ni d’être avars ou jaloux. Il s’agit de ne pas s’attribuer le mérite des autres ou de tirer la couverture sur soi pour s’attribuer le mérite d’une tâche ou encore de ne pas être jaloux de la dernière acquisition du voisin, de la réussite d’un collègue, …
- Brahmacharya – le bon usage de l’énergie. Traditionnellement, Brahmacharya est associé au célibat ou plutôt à la non-dépense de l’énergie sexuelle. Nous pouvons envisager ce point plus largement. La pratique de Brahmachaya consisterait d’éviter les comportements compulsifs qui nous éloignent de notre Moi supérieur en étouffant ou dissipant notre énergie vitale. Donc évitons : la gourmandise surtout celle qui consiste à manger nos émotions, la sexualité limitée à la performance ou à la considération de l’autre que comme un objet, l’abus d’alcool ou de molécules de synthèses pour éviter de ressentir nos émotions ou encore les jeux compulsifs, l’hyperactivité, les achats compulsifs, … bref ce qui nous dispersent pour éviter de regarder les choses en face. Il n’est pas question de se priver complément des plaisirs de la vie, mais bien de modération dans leur consommation (attention, je n’encourage d’aucune manière la consommation de molécules de synthèse, qui serait d’ailleurs en contradiction profonde avec Saucha, premier Niyama)
- Aparigraha – la non possessivité par rapport aux biens matériels. Il s’agit ici du contrôle de l’envie et de l’accumulation. Certes dans notre quotidien nous sommes soumis à de nombreuses publicités et démarches marketing qui peuvent nous créer des envies ou des besoins. Peut-être que l’inspiration pourrait aussi se trouver dans les démarches de minimaliste ou de zéro-déchets.
Les 5 Niyama – Observances ou règles de vie par rapport à soi-même – sont :
- Shaucha – la pureté ou la propreté. Il est dit qu’en respectant la propreté physique, nous pouvons se diriger vers la propreté de la Conscience. L’hygiène corporelle est bien sure à prendre en compte ici : se doucher, se laver les dents… Mais il faudrait également purifier des toxines en faisant le choix d’une alimentation saine (éviter le junk food), jeûner pour éliminer les toxines et réaliser quelques krya (Krya et purification). Il est également recommandé d’éliminer toutes les sources d’intoxications comme la drogue, l’alcool, le café même le thé et le chocolat. Le chocolat… argh ça va me demander pas mal d’effort.
- Santosha – le contentement. Comme le disait Baloo dans le livre de la Jungle « Il faut se satisfaire du nécessaire pour être heureux ». Autrement dit, il n’est pas nécessaire de vouloir toujours de nouvelles choses et de vivre toujours plus d’expériences. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs, à conditions de prendre le temps d’observer, de remercier ce que nous avons déjà. Hakuna matata.
- Tapas – austérités. L’austérité se traduit également par la discipline et donc peut-être par plus d’implication et de la régularité dans la pratique (yoga ou autre). Prendre le temps chaque jour de pratiquer en conscience. Parfois apprendre à contrôler certains sens, faire des rétentions pour limiter des fluctuations du mental.
- Svadhyaya – étude du Soi (sa véritable nature) par des questionnements justes et par des lectures. Cette étape nécessite l’intégration dans nos vies de l’observation de nos actions, de nos émotions, de nos réactions pour comprendre leur origine. Des lectures de textes, comme des biographies de personnes inspirantes, des articles de développement personnel, des essais de philosophies… peuvent nous aider à éclairer ou questionner nos habitudes pour en changer, et à trouver la force de sortir de nos zones de confort pour s’améliorer et vivre pleinement.
- Ishwarapranidhana – abandon à ce qui est supérieur, Dieu ou tout autre chose. Nous devons prendre conscience que nous sommes intégrés dans quelques choses de plus grand que nous, qui dépasse notre entendement humain. Il s’agit également de faire confiance à la vie, au destin, à l’univers, à une volonté supérieure, aux étoiles (appelez cela comme vous le souhaitez) et de remercier en offrant peut être une partie des bénéfices de nos propres actions. Je pense que dans Iswarapranidhana le concept d’altruisme et d’abondance prennent leur place. Pour moi il s’agit de donner sans attendre en retour ou de s’abandonner à quelque(s) chose(s) d’autre que soi. Que ça soit pour une grande cause (environnement, humanitaire…) ou pour une action de plus faible envergure (offrir un sourire, des légumes de son jardin…).
Sur ce chemin en 8 branches, les Asanas et le Pranayama ne sont que les branches suivantes. Puis suivent 4 branches plus méditatives et d’élévation de l’esprit que sont :
- Pratyahara ou le contrôle de sens. Notre cerveau à la capacité d’interpréter ce que nous voyons, entendons, touchons, goûtons avec son historique. Parfois il nous joue des tours et nous trompe. Pour moi, le meilleur exemple sont les illusions d’optiques. Nous dépensons de l’énergie pour rien ou pour satisfaire un plaisir de sens ou peut être satisfaire notre égo. Le sens ne sont pas toujours fiables et donc nous risquons de nous tromper interprétant une partie de l’image sans prendre en compte son intégralité.
- Dharana ou la concentration. Rester concentrer sur une seule chose ou seule action pour éviter de se disperser. Peut-être avez-vous ressenti dans certains moments de votre vie que vous aviez été tellement concentré sur ce que vous faisiez que tout le reste semblait disparaitre : le temps, les doutes, l’ego … c’est aussi ça être dans le moment présent.
- Dhyana ou la méditation. Il ne s’agit pas d’un état de relaxation, mais bien d’un état de concentration poussée, en assise les yeux fermés, dans lequel nous pourrions rester des heures (il parait des jours ou des années), sans être perturbé par les sens ni par le mental. Dans cet état, les fluctuations du mental semble s’apaiser, ralentir, s’arrêter peut-être.
- Samadhi ou l’éveil. C’est le moment ou notre âme individualisée (Atman) s’unit avec le grand tout, l’absolu (Brahman). Autant vous dire, sauf erreur de ma part, que peu de personnes atteignent ce stade, mais pourquoi pas vous.
Aucun sens précis n’est donné sur ce chemin et le yogi qui sommeille en vous trouveras celui qui lui convient. Pour le commun des mortels (je m’inclue dans cette catégorie), j’ai lu une fois une traduction de samadhi comme la contemplation ou la réalisation du Soi. J’ai envie de penser qu’à ce stade, nous serions capables de contempler l’existence, notre existence, avec bienveillance comme si nous étions un observateur externe regardant un film. Qu’à ce stade, nous ne faisons plus de distinctions entre individu et absolu, entre présent, passé et futur… Le tout dans un état de béatitude complète avec légèreté, chaleur et douceur… et peut être que c’est différent car là c’est les projections de mon mental dans le monde (viksepa sakti).
Dans la Bhagavad gita, Krisna dit à Arjuna dans les versets 52 et 53 que :
« Lorsque l’intellect aura franchi le bourbier de l’illusion, tu atteindras un état de détachement à l’égard des expériences passées et futures.
Lorsque ton intellect, rendu perplexe par ce que tu auras entendu, se fixera ferme et inébranlable, dans le Soi, tu atteindras la réalisation spirituelle ».
Avant de rajouter plus loin (v. 66)
« Celui qui n’a pas la fermeté nécessaire pour contrôler ses sens ne peut réaliser le Soi. Il ne peut méditer, et donc il ne peut connaitre la paix. Et sans la paix, où est le bonheur ? »
Finalement peut-être que le yoga est un chemin vers la paix et vers le bonheur. Un chemin qui conduit par une pratique régulière à une amélioration des conditions physiques (endurance, souplesse, musculation…) mais aussi émotionnelle et spirituelle (encore une fois, la spiritualité est personnelle à vous de trouver ce que vous mettez dedans).
Le yoga ne peut pas se limiter à une définition d’une pratique sportive, bien que la transpiration fasse partie de la pratique, mais plutôt à celle d’un mode de vie. Une pratique qui influence notre être dans toutes ses dimensions et plus profondément que nous pouvons l’imaginer initialement. Pour reprendre Julien Levy : « (le yoga) est une vraie voie de transformation, un chemin vers soi et vers plus d’épanouissement dans notre vie. Pour cela, il est nécessaire de passer à l’action ». Les effets positifs de cette pratique sont nombreux : bien-être, calme intérieur, gestion du stress, connaissance de soi, équilibre, tonicité, santé du dos, relaxation, concentration… mais pour cela il faut oser s’engager dans cette (belle) aventure. Peut-être prendre le temps de rester assis, de meumeumer des mantras, de contempler un beau paysage, de bouger et contorsionner son corps (dans la limite qu’il nous offre), de respirer, de remercier et de s’abandonner. Peut-être sommes-nous proches des stéréotypes des yogis, peut-être pas, et alors quelle importance ? Quelle importance si c’est de cette façon que vous apprenez à vous connaitre, à vous reconnaitre. Mon conseil pour conclure : n’hésitez plus, quittez vos baskets, déroulez votre tapis et pratiquez !
Sources :
Baloo » Le Livre de la jungle – Il en faut très peu pour être heureux « – Disney
Fabcaro « Moins qu’hier (et plus que demain) » – Babelio
Sawami Chinmayananda « La Bhagavad gîtâ – commentaire du texte intégral »
B.K.S. Iyengar « Pranayama Dipika – Lumière sur le Pranyama »
Julien Levy « Yoga du matin, dynamiser son corps, apaiser son esprit »
Patanjali « Yoga-Sustras»
Simon, Simba et Pumba « La Roi Lion – Hakuna Matata » – Disney
un merci tout spécial à Florian de Tamdi
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